L’ART EST UN TRANSMETTEUR MÉCANIQUE
QU’EST-IL ARRIVÉ À L’ART ?
Tout d’abord, afin d’éviter toute confusion sur cette question, il est essentiel de souligner que l’art est de l’art. L’art est, fondamentalement, la beauté, et la beauté est la beauté, elle ne change pas en fonction de l’âge. Si nous devons définir la principale différence entre ce que l’on appelle l’art préhistorique et l’art qui n’est pas considéré comme préhistorique, cette différence consiste dans le fait que le premier n’est pas intellectuel. Puisque l’art dit préhistorique, c’est-à-dire non intellectualisé, représente l’origine de l’art, l’art intellectualisé, considéré comme un autre art, représente l’art dépourvu de cette origine.
Nul besoin d’être un expert en la matière : si vous avez jeté un bref coup d’œil aux débuts de l’art dit préhistorique, vous avez certainement remarqué l’absence totale d’histoire. Le concept d’expression dans l’art commence avec l’invention du concept d’histoire, qui est aussi l’histoire de l’intellectualisation de l’art. (Pour mieux comprendre ceci, je vous conseille de voir cet article : Pirahã
« Aucune fiction ou mythologie n’a été découverte par les chercheurs au cours de leurs entretiens avec les Pirahãs. En particulier, ceux-ci ne croient pas à une Création du monde et pensent que « tout a toujours été ainsi. » (fr.wikipedia.org)
Il est inutile d’essayer de répondre à la question de savoir pourquoi les artistes préhistoriques ne racontaient pas d’histoires. La vraie question est la suivante : pourquoi avons-nous commencé à raconter des histoires ? Il n’est pas facile de donner une réponse théorique à cette question. Il est probable que nous ayons inventé l’enregistrement verbal de l’histoire et la transmission de l’expérience ou l’élaboration d’histoires (presque la même chose) afin de consolider les relations entre les membres de la tribu, et nous pensions que cela contribuerait à la continuité de notre espèce. Comme les histoires basées sur les ancêtres.
Alors qu’est-il arrivé à l’art ? L’art, créé par des « sauvages » qui se contentaient de représenter le monde qui les entourait tel qu’il était à travers l’art, a définitivement perdu son caractère et est devenu le principal outil de l’Homme dit civilisé, toujours en train de raconter des histoires.
Qu’apporte l’absence d’histoire ? La clarté d’esprit.
Qu’apporte la présence d’histoire ? La confusion.
Laissez-moi vous expliquer brièvement : vous pouvez facilement manipuler les autres d’une manière ou d’une autre en racontant des histoires, et vous pouvez également être manipulé en écoutant et/ou en regardant des histoires.

Masque Kwele (peuple), début xxe siècle. Gabon. Pigments sur bois, H. 63 cm3 no 379. Muséum de La Rochelle. (Wikipedia)
Par exemple, une mésaventure que vous avez eue hier dans un magasin et qui ne concerne pas vos amis à qui vous en parlez aujourd’hui ne fera que semer la confusion dans leur esprit à propos de vous et du magasin. Raconter une histoire ne sert jamais à faire revivre aux autres l’expérience contenue dans l’histoire, il s’agit seulement de la leur faire imaginer. En ce sens, personne ne peut imaginer exactement ce que vivent les autres (même si, à un degré ou à un autre, nous vivons les mêmes choses). La personne à qui l’on raconte l’histoire l’interprétera inévitablement et automatiquement, et il faut savoir que l’histoire racontée sera toujours fondamentalement différente de l’histoire comprise. Ce que nous retenons d’une histoire, c’est souvent un passage qui nous dit que nous devrions faire attention à ceci ou à cela pour une raison ou une autre. C’est tout. De ce point de vue, une histoire écoutée est intéressante dans la mesure où elle nous donne une information relative. Même à ce stade, nous ne pouvons pas nous empêcher d’interpréter la partie de l’histoire qui sert d’avertissement, car l’interprétation est le fil qui comble relativement les lacunes de la compréhension.
En conclusion : la présence de l’histoire dans nos vies ne nous apporte pas grand-chose. Au contraire, elle nous rend confus. Car aucune expérience transmise ne peut être comparée à l’expérience vécue. En présence de l’histoire, nous sommes confus, en l’absence de l’histoire, notre esprit est clair, car dans ce cas, nous marchons sur nos deux pieds, sans être manipulés par l’expérience des autres, qui ne nous sert pas à grand-chose.
L’ART NE VIT PAS, C’EST NOUS QUI VIVONS
L’art abstrait, c’est la liberté et parfois une liberté totale. Il peut être certainement un simple mélange de couleurs. Sans aucun doute, cela ne veut pas dire que l’art abstrait est méprisable. D’autre part, cela ne veut pas dire non plus que l’art abstrait peut avoir et/ou transmettre des émotions. Des émotions, ce sont nos émotions, et nous, nous sommes vivants, et à priori, elles sont déjà partagées, transmises par l’empathie qui nous lie l’un à l’autre. Par l’intention de l’artiste, que ce soit l’abstraction ou la figuration et quelle que ce soit la discipline artistique, l’art ne peut être qu’un transmetteur mécanique des émotions.
N’oublions pas que quand on parle de l’art, on parle de quelque chose de factice.
Le fait de vouloir trouver ou créer de sens, de l’émotion dans l’art abstrait vient de l’art figuratif, bien que l’art abstrait est largement plus ancien que l’art figuratif. À noter que l’historique de l’art abstrait remonte au moins à 500 000 ans (DES SIGNES GRAVÉS IL Y A 500 000 ANS…).
On peut dire que l’on a perdu notre notion d’abstraction au fur et à mesure que l’on a inventé des histoires.
Hakan Portakal 01/ 2025


